Il y a un texte que je trouve superbe, qui expose très exactement ce qu’est pour moi la recherche généalogique, c’est la lettre de Gargantua à Pantagruel, dans Pantagruel, au chapitre VIII.
Elle est souvent évoquée comme étant représentative de l’idéal humaniste, et on cite toujours la deuxième partie de la lettre, le programme éducatif de Pantagruel, comme reflet de cet immense soif de connaissances du XVIe siècle.
Or, c’est le début de la lettre que je trouve le plus émouvant, le moment où Gargantua s’adresse à son fils pour parler de ce qu’est la filiation.
La condition humaine est mortelle, dit Gargantua, mais une de ses prérogatives les plus singulières est celle « par laquelle la nature peut, alors qu’elle est mortelle, acquérir une espère d’immortalité, et durant sa vie transitoire, perpétuer son nom et sa semence. Ce qui se fait par la lignée issue de nous en mariage légitime. »
Il y aurait donc un moyen de perpétuer notre trace, d’acquérir une espèce d’immortalité. L’homme ne disparaît pas tout à fait si, par ses descendants, il reste un peu de lui en ce monde :
« Demeure dans les enfants ce qui est perdu des parents, et aux petits-enfants ce qui périt aux enfants, et ainsi de suite jusqu’à l’heure du jugement final »
Remonter la lignée, c’est donc tenter de retrouver ceux qui nous ont précédés et nous ont légué ce qui nous constitue aujourd’hui. Et ça me paraît être une belle définition du métier de généalogiste que de contribuer à fixer, selon une autre expression de Rabelais, « l’heureuse mémoire » de nos ancêtres.
Gargantua est, de plus, par bien des aspects une belle figure tutélaire pour moi.
Je me retrouve tout à fait dans le gigantesque appétit de connaissances de ce sympathique roi, dans cet immense plaisir que nous, généalogistes, ressentons à trouver, apprendre, plonger dans l’histoire, y passer des heures, déplacer des montagnes de documents et parler interminablement de notre passion. Cette addiction, cet enthousiasme intarissable, cette incapacité à s’arrêter malgré les heures avancées de la nuit, c’est très rabelaisien !
Gargantua est par ailleurs l’incarnation de valeurs humanistes, qui sont les miennes aussi : la foi en l’homme, les liens d’affection familiale, le dépassement de soi par l’éducation et la culture, auxquels peuvent s’ajouter l’ouverture au monde et cette sorte de tolérance qui transparaît derrière les références religieuses, jamais envisagées comme des préceptes dogmatiques haineux. Cet humanisme, il apparaît aussi dans la généalogie, qui ne va pas nous permettre de prouver que nos ancêtres sont des Français de souche mais au contraire que nos histoires familiales sont faites de multiples aventures, de rencontres improbables et de déplacements inattendus.
Transmission, enthousiasme, humanisme : ça me va.
De même que la devise qui suit l’avis au lecteur !
Ecrire, pour capturer les moments fugaces.